ORIGINES DE LA FRANCOPHONIE EN ROUMANIE

 

L’intérêt des Roumains pour la France remonte au XVIII-ème siècle, époque où les Princes phanariotes administraient le régime ottoman. Dans les "Académies" instituées par les phanariotes, l’enseignement était dispensé en grec, à partir de manuels traduits du français. A noter en l771-1772, la parution en roumain, traduites directement du français de plusieurs oeuvres de VOLTAIRE, suivies en 1772 de la traduction en roumain de l’ouvrage de FENELON, "Les aventures de Télémaque". En l776, suite à la réforme de l’enseignement entreprise en Valachie par le prince Alexandre IPSILANTI, le français devient matière obligatoire au programme de l’école supérieure de Bucarest.

Au cours des nombreuses guerres contre la Turquie et autres pays, les mémoires préparés en vue des traités par les délégations des Principautés étaient rédigés en français.

Les princes régnants de Moldavie et de Valachie portaient le titre de Dragoman ou "Drogmans" ("traducteurs") et avaient pour secrétaires de parfaits connaisseurs du français et parfois même des Français, comme Pierre DE LA ROCHE, secrétaire pour les Affaires étrangères du Prince moldave Jean CALLIMAKY (en l758) et en même temps le premier Français à remplir les fonctions de précepteur des enfants du prince, ou bien le comte de HAUTERIVE, secrétaire du Prince IPSILANTI et auteur du "Mémoire sur l’état de la Moldavie, en l787". Les archives attestent qu’on lisait en grande majorité des journaux français. Le premier consulat français est établi à Bucarest en 1795, ayant à sa tête Emile GAUDIN, à la fin de la guerre russo-turque. L’année suivante un deuxième consulat français est ouvert à Iasi. Au-delà de son activité économique et commerciale, le consulat devient aussi un foyer à partir duquel sont disséminés les idées de la Révolution française qui commence à faire des "prosélytes" aussi dans les principautés.

Au XIX-ème siècle, de nombreux voyageurs roumains, notamment les fils des grands boïards, visitent la France et rapportent des éléments de culture et de politique qu’ils implantent en Roumanie à leur retour. Il s’agit, après la contribution des Phanariotes et des consulats français, de la troisième source de diffusion des idées françaises dans le monde roumain. Paul IORGOVICI (de Transylvanie), Daniel PHILIPIDES, professeur à l’Académie de Iasi, précepteur de la famille princière des BALS (correspondance avec le géographe français du BOCAGE), Constantin FILIPESCU, (étudiant en droit à Paris et futur ministre des Finances dans le gouvernement révolutionnaire de l848), Jean GHICA (homme de lettres et ministre), Petrache POENARU (fondateur de l’enseignement national de Valachie), Nicolas KRETZULESCO (fondateur de l’enseignement médical roumain), ROSSETTI-ROSNOVANU... sont parmi les plus célèbres. "De ces navettes entre Paris et Bucarest est née l’indépendance roumaine", écrira Paul MORAND un siècle plus tard.

Outre la bibliothèque de ROSSETTI-ROSNOVANU, le métropolite de Valachie rachète et enrichit celle du Prince MAVROCORDATO et du géographe de MAGNANCOURT dont l’inventaire de l836 est conservé à l’Académie Roumaine.

En 1829, le traité d’Andrinople rédigé en français fait passer les principautés de Valachie et de Moldavie de l’influence ottomane à l’influence russe jusqu’en l834. C’est pendant cette occupation qu’à partir de 1830, le français est enseigné dans les écoles de Bucarest et de Iasi, notamment grâce aux efforts de l’érudit Jean A. VAILLANT, professeur à Bucarest de l829 à l840, qui en l843 fait paraître à Paris l’ouvrage "La Roumanie, ou : histoire, langue,littérature, orthographe, statistique des peuples de la langue d’or, Ardiliens, Valaques et Moldaves réunis sous le nom de Romans".

Dès le début du XIX-ème siècle, les cabinets de lecture de Bucarest et de Iasi offrent à leurs adhérents de nombreux livres français. En 1838 est rédigé le premier dictionnaire franco-roumain par VAILLANT, professeur au Collège de Sava. En 1840 paraît un deuxième dictionnaire signé Petrache POENARU. A partir de l862, paraissent successivement trois dictionnaires franco-roumains. Le français devient obligatoire dans les écoles et des compagnies théâtrales françaises viennent donner des représentations à Bucarest et Iasi. Appelé pour enseigner le français aux enfants du boïard SLATINEANU, le professeur français de Montpellier, Ulysse de MARSILLAC, est nommé à la Faculté de Lettres de Bucarest avant de devenir journaliste et fondateur de trois grandes publications, célèbres à l’époque, "LA VOIX DE LA ROUMANIE", "LE MONITEUR ROUMAIN" et "LE JOURNAL DE BUCAREST". Il s’impliqua aussi dans les efforts visant à moderniser la Capitale de la Roumanie qu’il ne quitta plus jusqu’à sa mort.

Dans le domaine politique, Félix COLSON, fonctionnaire du Consulat de France, dans les années 1830, devient le conseiller de Ion CAMPINEANU et rédige un projet de Constitution en français, qu’il publie à Paris en l839 sous le titre "De l’état présent et de l’avenir des Principautés de Moldavie et de Valachie". Plusieurs journalistes français, dont BERANGER et Jean Marc GIRARDIN (LES DEBATS) visitent la Roumanie et rendent compte des problèmes de navigation internationale sur le Danube. Les historiens Jules MICHELET et Edgard QUINET défendent les droits nationaux des Roumains. En l856, le Traité de Paris, à la fin de la guerre de Crimée reflète la position de NAPOLEON III, partisan de l’unification des deux principautés de Valachie et de Moldavie et favorable à leur indépendance. En 1858, la Convention de Paris jette les bases d’une Constitution de la Roumanie. A la base de la Roumanie moderne se trouve maintenant une composante française, au niveau institutionnel, législatif, militaire, culturel et même dans la vie quotidienne et les moeurs. L’influence française ne cessera de croître en dépit du renversement, en l866, du Prince CUZA (élu en 1859, lors de l’Union des Principautés) et de son remplacement par Charles I-er de HOHENZOLLERN, qui en 1881 proclame le Royaume. Pendant la guerre franco-allemande de l870-1871, même un ministre germanophile comme le conservateur Petre CARP ne put s’empêcher d’exclamer à la Chambre des Députés : "C’est la où flottent les drapeaux de la France que se trouvent nos intérêts et nos sympathies".

De 1881 à 1916, la Roumanie est divisée en deux camps politiques : les francophones (libéraux) et les partisans (conservateurs) des puissances d’Europe Centrale jusqu’à l’entrée de la Roumanie dans la première Guerre mondiale en 1916. En 1919, la France intervient à la conférence de Versailles pour le transfert de la Transylvanie, de la Bessarabie et de la Bucovine à la Roumanie, en vertu du principe wilsonien de l’autodétermination des peuples.

Les années 1920 et 1940 furent la grande époque "française" de la Roumanie. Ce pays était le premier client étranger de l’édition parisienne. Paul MORAND évoquait dans "Bucarest" (PLON, 1935), le "Petit Paris" qu’était la capitale roumaine. Hélène VACARESCO, Anna de NOAILLES, la Princesse BIBESCO faisaient briller la culture roumaine dans les salons parisiens. La Reine ELISABETH traduisait en français les légendes populaires roumaines sous le pseudonyme de CARMEN SYLVA, et la Reine MARIE publiait "Histoire de ma vie" chez PLON en 1938.

Mircea ELIADE, Emile CIORAN et Eugène IONESCO étudient à Bucarest. TZARA avait inventé le dadaïsme en l916. Dès les années 30, exista - avant Paris -, un mouvement existentialiste roumain auquel CIORAN appartint. En 1946, BRETON décréta que Bucarest était "la capitale du surréalisme". Maurice BLANCHOT fut découvert par une revue roumaine. La France entretenait entre les deux guerres et juste avant la fermeture de l’Institut français de Bucarest en 1948, sa plus importante mission culturelle française à l’étranger. De nombreux intellectuels roumains avaient fait leurs études à Paris, et continuèrent pendant les années difficiles de maintenir des liens privilégiés avec la culture française.